CH 1 « Qu’est ce que tu veux faire quand tu seras grande ? »
Je ne me souviens pas que l’on m’ait posé la question et d’ailleurs que je me la sois posée à moi-même »
Si maman était partie le matin pour aller à son travail, alors peut-être que j’aurais envisagé la possibilité d’un métier, comme le sien quand je serai moi-même grande. Mais maman, comme beaucoup de mamans des années 50 était à la maison et son « métier » était de s’occuper de nous à la maison.
Et pourtant, maman avait eu un métier. Elle en parlait souvent avec nostalgie d’ailleurs. De 15 à 28 ans, elle avait travaillé dans la confection et avait toujours pensé reprendre ce métier dès que nous serions adolescents. Mais le choix de mes parents avait été qu’elle reste à la maison pour s’occuper de nous. Mon père a fait en sorte d’améliorer sa situation professionnelle pour laisser perdurer cette situation pour notre plus grand bonheur. Maman m’a souvent dit qu’elle ne le regrettait pas mais….
Années d’enfance, années de bonheur et d’insouciance. Nous habitions un nouveau lotissement et nous étions une nuée d’enfants dont le seul souci était de se retrouver dans le pré voisin, pour faire des jeux, des balades et savourer notre goûter de l’après midi. Pas de télé, pas de voiture dans les environs. Nous étions libres de parcourir les rues avoisinantes et de nous retrouver, nous asseoir sur un bout de trottoir surtout l’été pour profiter de la fraicheur de la nuit, éclairés par le lampadaire à l’angle de notre rue. Nous étions à portée de voix de nos parents, sans souci et sans crainte de rien !
Aujourd’hui, quand je rends visite à maman qui vient d’avoir 97 ans, je passe devant ce trottoir. Le lampadaire est toujours là mais le croisement de la route a été surélevé par un « coussin » pour ralentir le flot continu de voitures !
Je fais très attention pour traverser avant d’aller sonner au portail d’en face. Mon amie d’enfance habite toujours là, la maison de ses parents : 60 ans ont passé mais chaque fois que je me retrouve devant le portail qui n’a changé que de couleur, je ressens un doux pincement au cœur. Non, tous ces moments, je ne les ai pas inventés puisque nous les avons partagés et que c’est si drôle de les faire revivre. On n’a pas toujours les mêmes souvenirs, chacune les a vécus à sa façon mais les lieux sont toujours les mêmes, quelque peu rénovés et nous nous sommes toujours là pour nous souvenir et les revivre!
Ses parents étaient maraichers et j’ai souvent sonné à ce portail pour aller la voir mais aussi pour aller chercher une salade ou des radis. Pour la salade, je retrouvais sa maman courbée au milieu de dizaines de rangées de légumes. Elle levait la tête, me regardait puis saisissait son couteau et d’un geste rapide coupait la salade demandée. J’enjambais les rangées qui nous séparaient et repartais avec une belle salade qui me laissait la main terreuse. Pour les radis, il fallait entrer dans une pièce attenant au puits, ils flottaient dans un grand bac de pierre : elle trempait ses mains dans l’eau glacée, resserraient les doigts sur une belle poignée de radis et chaque fois je ne pouvais résister à l’imiter. Un petit plaisir rafraichissant pour quelques radis de plus.
Mon amie Marie ne me disait pas si elle voulait être maraichère comme ses parents. Nous n’en parlions pas, nous ne parlions pas de métier, autant qu’il m’en souvienne alors que nous étions très souvent ensemble. Nous parlions beaucoup, beaucoup. De quoi parlait-on ?C’est ce que se demandait maman quand elle m’appelait. Je finissais assise sur le rebord de la fenêtre de sa chambre, prête à sauter sur le trottoir, prête à répondre à l’ultime appel de maman…
Mais qu’avez-vous donc tant à vous raconter ?
Après nos 20 ans, nous nous sommes mariées, les enfants dont nous avions parlé pendant si longtemps sont arrivés ou pas. Le nez dans le guidon de nos vies personnelle et professionnelle, nous avons essayé de capturer des moments pour nous retrouver. Tous ces pointillés de moments trop rares ont jalonné nos vies mais notre amitié est restée aussi forte.
Marie a commencé à travailler à 15 ans dans une pharmacie. De mon côté, j’allais au lycée où j’ai rencontré dès la sixième, Marianne qui sera sans doute déterminante dans ma décision de devenir maîtresse d’école. Mais à ce moment-là, il n’en était pas question.En effet, mes maîtresses d’école ne m’avaient pas vraiment donné envie de leur ressembler, surtout la dernière dont le comportement a été tellement indigne que je ne sais pas si finalement je ne dois pas la remercier…
Quand j’avais la classe de CP, je prenais un grand plaisir à exhiber mes cahiers de classe de CP.Voir mes élèves ouvrir leur yeux grands et leur dévoiler mes secrets dont le premier, le plus étonnant de tous pour des enfants de 5 ans : j’ai été comme eux, petite : et oui, un jour j’ai eu 5 ans !Quand je découvrais, une à une les pages de mon précieux trésor, j’avais l’impression d’avoir trouvé un manuscrit qui ne pouvait que tomber en lambeaux…
Bien alignés, les lettres écrites à l’encre bleue avec en tête le modèle écrit à l’encre rouge, des copies, des dictées, des opérations et quelques frises de tampons pour illustrer l’unique cahier que nous avions. On écrivait à la plume…un vrai cours d’histoire ! Bien sûr, chaque page était commenté et surtout, et j’en étais très fière, les bien et très bien superbement calligraphiés dans la marge par la maîtresse.
Si j’avais autant de plaisir aussi à montrer ces cahiers, précautionneusement conservés par ma maman, c’est que le souvenir de cette première maîtresse de CP était sans doute le meilleur du primaire.
En déménageant en avril, je découvris que toutes les maîtresses ne se valaient pas. Bien sûr, je n’en avais pas conscience, je n’avais que 6 ans mais l’impression d’être revenue en maternelle est restée gravée dans ma mémoire et fut vérifiée par la suite des évènements. Tout d’abord, dans cette nouvelle classe, la maîtresse classait les élèves : je me retrouvais classée en troisième position derrière Hélène et Brigitte. Mon niveau était tel que je me voyais en tête de classe… Quel immense merci à ma première maîtresse d’avoir fait si bien son travail, surtout pour une enfant née en décembre et une année à cet âge –là, c’est énorme.
Chaque fois que j’ai eu des classes de CP, j’ai toujours été très attentive à l’écart de mois, souvent de maturité entre ceux nés en janvier et ceux nés en décembre. C’est ainsi, c’est l’année civile qui prime et ne correspond pas à l’année scolaire. C’est surtout dans les petites classes et notamment en CP où l’on apprend à lire que les différences peuvent être pénalisantes, même si évidemment il y a d’autres critères mais, de par mon histoire, j’ai été sensibilisée à cela et je ne l’ai jamais oublié.
Dire merci à la maîtresse de CM2, c’et un peu exagéré ! Bien que des dizaines d’années plus tard, à la réflexion, si je n’avais pas eu ce parcours, je n’aurai peut être pas fait ce choix de devenir maîtresse d’école. En tous les cas, il est sûr qu’elle m’a servi de contre exemple : elle était tout ce qu’une maîtresse ne doit pas être et bien sûr, je ne serai jamais comme elle. Bien au contraire, ce passage fut si difficile, que j’ai poussé le curseur complètement à l’opposé ; j’ai exercé ce beau métier avec le plus beau des sentiments : l’ amour.
C’est comme cela que mon amie Isabelle avec laquelle j’ai partagé les dernières années le ressentait. Quel magnifique compliment quand elle m’avait dit, au moment de nous quitter « tu m’as appris à faire la classe avec amour ! » Comme je n’ai eu aucune formation d’enseignante, j’ai fait ce métier avec mon cœur, en puisant dans mon imaginaire l’image de la maîtresse idéale, celle que j’aurais aimé avoir et que j’ai eue, mais je n’avais que 5 ans.
Cette petite fille que j’étais restera toujours parmi mes élèves. Elle sera là à me regarder faire la classe, à me faire un sourire lorsque je ferai le clown, à me lancer un regard interrogateur quand elle ne comprendra pas où je veux en venir et quelquefois, mais très rarement, car j’anticipais, à me lancer un regard réprobateur ! Cette petite fille est toujours là et m’aide aujourd’hui à rédiger l’histoire de ce parcours.
Garder son regard d’enfant est la base essentielle pour se sentir à l’aise avec les enfants. Je dis souvent que je suis comme un poisson dans l’eau quand je suis dans une classe. C’est toujours aussi vrai après quelques années de retraite, je dis plutôt de mise en retrait. Isabelle, toujours en fonction, m’invite dans sa classe pour des ateliers, des sorties scolaires et me regarde avec ravissement quant elle ne s’éclipse pas pour me laisser profiter de ce moment magique d’échanges. C’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas !