Mes écrits, Master Class

exercice « le point de vue »

De nouveau sur la masterclass d’Eric Emmanuel SCHMITT.

L’exercice demandé est de prendre un conte et de donner le point de vue d’un personnage différent des personnages principaux ou qui sont naturellement les héros sympathiques. J’ai choisi le personnage de la méchante reine dans Blanche-Neige, pour essayer de comprendre pourquoi elle est aussi cruelle.

Je ne lui cherche pas d’excuses mais plutôt des explications : la douleur, la peine, la frustration, la jalousie peuvent déclencher chez  des personnes à priori inoffensives, plus dans les paroles que dans les actes de justement passer la ligne rouge et commettre l’irréparable.

La méchante reine en  arrive à vouloir la mort de sa belle-fille…pourquoi? Cet exercice résonne aussi dans le questionnement sur la manière de réagir dans des situations similaires de conflit familial, comme ceux que nous voyons dans les déchirements des divorces et les conséquences désastreuses qui en découlent. Ce ne sont pas des meurtres physiques, quoique, mais des assassinats psychologiques qui entrainent des situations dramatiques avec des familles déchirées et éclatées : un sociologue a nommé la destruction d’un parent par un autre : l’aliénation parentale.

Voici le texte que j’ai fait pour cet exercice : un des élèves de la masterclass qui l’a lu l’a trouvé intéressant…et vous?

Exercice n° 9   « Le point de vue »  dans un conte, celui de la méchante reine de Blanche neige !

 

« Miroir, mon beau miroir…suis-je la plus belle ? »

  • « oui, ma reine, tu es la plus belle, la plus belle de tout le royaume ! »

La reine se redressa, le cou raidi par la fierté, jeta un regard alentour mais personne n’était  là pour contredire.

  • Merci miroir, mon beau miroir !

Le voilà flatté lui aussi. Beau ! avait t-elle dit. Mais alors pourquoi jeter aussitôt cette tenture sur lui ! Fin de l’entrevue !Un miroir peut-il mentir ? Un miroir peut-il parler ?

Pour en être réduite à parler à son miroir et penser qu’il vous répond, soit vous avez bu quelque chose de bizarre, soit vous êtes bien seule, soit évidemment vous êtes dans une histoire irréelle, un conte par exemple !

Cette reine, si belle, ne croyait plus en son miroir. Bien sûr qu’il lui mentait. Elle voyait bien quelques rides rayer son front et son cou..son cou ! Elle le cachait désormais dans une coiffe sombre qui enrobait toute sa tête, laissant apparaître son visage  plus pâle, plus…non, ce n’était pas de la porcelaine encadrée par l’ébène de sa chevelure. Le visage de sa belle-fille apparut aussitôt !

Mais pourquoi et comment se comparer à  sa belle-fille ? Déjà cette façon de la nommer était provocatrice !

Belle-fille, belle surtout pensa-t-elle, cela ne suffit-il pas ? Belle, parce qu’elle est  jeune : la jeunesse qui rend belle, mais ma fille tu faneras comme les autres ! Moi aussi, j’étais belle…ces mots étaient  insupportables ! Non, s’écria-t-elle en se retournant violemment vers son miroir :-«  je suis, je suis je suis BELLLLLLE ! »

Et dans un râle sanglotant, elle s’effondra sur son fauteuil !

Elle pleura, pleura et se laissa emporter par ce fleuve de larmes qui la laissa épuisée. L’épaisse tenture qu’elle avait jetée sur son miroir avait glissé sous la tempête qu’elle venait de provoquer dans sa chambre, son immense et froide chambre de reine !

Un rayon de soleil vint frapper l’angle de ce miroir ainsi découvert. Le jour se levait, ce qu’elle redoutait par dessus tout :   le jour, ce jour  qui inonde de lumière la beauté de la nature et révèle avec douceur et harmonie les traits de la jeunesse.

Le visage de Blanche-Neige lui apparut de nouveau qu’elle raya d’un revers de manche en hurlant de nouveau :

– Je suis BELLE, JE SUIS BELLE, JE SUIS LA REINE !

Et pourtant, elle aurait dû se résoudre à la réalité : sa jeunesse s’en était allée et avec elle ses espoirs et  ses rêves.Quand le roi l’avait demandée en mariage, quelle fierté et  quel honneur  elle avait alors ressenti ! Comme lui, de sang royal, elle avait vu dans cette alliance, le début d’une vie belle et glorieuse. Et  cette couronne ne serait là que pour magnifier encore davantage son allure altière et sa beauté.

Mais la désillusion fut rapide et fatale. Oui, il l’avait épousée pour sa noblesse mais non, l’amour et même l’attachement n’étaient pas au rendez-vous ! Il  fallait au roi une mère de substitution pour sa fille qui venait de perdre la  sienne, à la naissance.

Elle n’avait vraiment pas porté attention à ce lardon braillard. Il y avait les nourrices pour cela. Elle serait la nouvelle reine car sa beauté était resplendissante : elle était jeune, belle et somptueuse dans ses habits d’apparat.

Mais alors, que s’était-il passé ? Comment son dédain, puis son mépris s’étaient-ils transformés en haine au point de vouloir que cette enfant disparaisse, de sa vue, de sa vie à jamais. Il est vrai qu’elle n’avait pas voulu elle-même enfanter pour ne pas flétrir sa beauté par une grossesse qui pouvait aussi la mener à la mort. Elle ne serait pas la suivante. Elle était reine et comptait le rester.

Mais les années avaient  passé et le regard du roi ne se posait plus que sur sa jolie petite fille à la peau blanche comme la porcelaine sublimée par sa couronne de cheveux, couleur ébène : cette jolie petite fille qui ressemblait tant à sa maman : Blanche-neige.

Etre sans cesse comparée à cette enfant…La colère de la reine  s’était alors transformée en rage, puis en folie meurtrière au point que ses potions de beauté n’étaient devenues que d’infâmes mixtures jusqu’au jour où croyant encore avaler un élixir de beauté, elle se transforma en oiseau de proie ! Elle n’était plus que colère, haine et ses vêtements royaux   prirent la couleur noire du désespoir,  comme cet oiseau du malheur.

Et ce miroir qui mentait et ce grimoire qui ne trouvait pas la formule pour remonter le temps.
Décidément, elle devait réagir, chasser  de son regard cette fillette avant qu’elle ne devienne une femme, avant que définitivement le roi ne l’écarte, elle, la reine !

Si Blanche-Neige disparaissait, alors, elle serait là, elle serait avec lui pour le consoler comme toute épouse sait le faire. Il n’aurait pas le choix : elle occuperait tout son espace, et elle sait qu’elle redeviendrait la Reine !

Dans sa tête, cette vérité tournait en boucle, elle pensait en devenir folle. Il fallait agir au plus vite. Elle hurla si fort que les murs du donjon  dont elle avait fait son refuge en vibrèrent : le ciel s’obscurcit et une volée de corbeaux s’échappa des meurtrières.

Des pas rapides et lourds résonnèrent dans l’escalier. Les gonds de la porte grincèrent dans un râle angoissant.

Le chasseur mis genou à terre et baissa la tête : -« Ma Reine, vous m’avez fait appeler ? »

 

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